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XIX
INTRODUCTION ET NOTICE.

les conseils qu’il donnait à ceux de ses contemporains jaloux de pratiquer l’art de bien écrire, nul d’entre eux ne devait désespérer d’atteindre à un talent qu’il a lui-même porté jusqu’à la perfection.

Peut-être s’étonnera-t-on que Lucien, si fin appréciateur des beautés mâles ou délicates de la littérature attique, ne fasse dans ses ouvrages aucune mention de la littérature latine, qui cependant avait produit ses chefs-d’œuvre au moment où il écrivait. Mais, suivant une remarque que nous avons entendu faire au savant M. Le Clerc, l’éducation et l’instruction de Lucien est tout orientale et toute grecque : le monde de l’Occident n’existe point pour lui. Quoiqu’il ait voyagé en Italie, quoiqu’il ait vu Rome, dont il offre une peinture si curieuse dans son Nigrinus, il paraît n’avoir emporté de ses excursions dans les contrées occidentales que le plus souverain mépris de tout ce qui a rapport aux œuvres littéraires de cette région de l’empire. C’est un fait qui, du reste, n’est point isolé, ni particulier à Lucien. Denys d’Halicarnasse, qui, dans la partie historique de ses écrits, se montre si versé dans les antiquités romaines, semble, dans la partie littéraire, croire que les Romains n’ont jamais eu d’historien, de poëte ni d’orateur. On aurait donc tort d’imputer à une absence de goût ce qui n’est, selon nous, qu’un excès d’amour-propre national poussé jusqu’à l’injustice, ou bien une lacune dans une éducation d’ailleurs polie et vraiment achevée.

L’esquisse que nous traçons du talent souple et divers de notre auteur serait incomplète, si nous omettions de parler du goût éclairé de Lucien pour les beaux-arts, et surtout de ses connaissances dans la peinture et dans la statuaire. Si notre traduction n’a point trahi ses idées, si elle a reflété, comme un miroir fidèle, les tableaux qu’il a reproduits ou dessinés de génie avec une netteté si parfaite de crayon, un éclat si brillant et une fraîcheur si vive de coloris, nos lecteurs ne nous accuseront point d’une admiration outrée, lorsque nous ferons observer que Lucien est un des connaisseurs, pour ne pas dire un des artistes, les plus distingués de l’antiquité. Où trouver rien de plus ravissant que l’ana-