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LES SECTES À L’ENCAN.

Mercure. Hé ! le Pythagoricien, descends et fais-toi voir par ceux qui sont ici réunis.

Jupiter. Allons, mets en criée !

Mercure. Je vends la vie parfaite, la vie sainte et vénérable. Qui est-ce qui achète ? Qui veut être au-dessus de l’homme ? Qui veut connaître l’harmonie de l’univers, et revivre après sa mort ?

Le marchand. Il n’a pas mauvais air : que sait-il ?

Mercure. L’arithmétique, l’astronomie, la magie, la géométrie, la musique, la fourberie. Tu vois là un excellent devin.

Le marchand. Est-il permis de l’interroger ?

Mercure. Interroge, et bonne chance !

[3] Le marchand. D’où es-tu ?

Pythagore. De Samos[1].

Le marchand. Où as-tu été instruit ?

Pythagore. En Égypte[2], chez les sages du pays.

Le marchand. Voyons, si je t’achète, que m’enseigneras-tu ?

Pythagore. Je ne t’enseignerai rien ; je te ferai ressouvenir[3].

Le marchand. Comment me feras-tu ressouvenir ?

Pythagore. En purifiant d’abord ton âme, et en la nettoyant de ses ordures.

Le marchand. Eh bien ! imagine qu’elle est purifiée : comment me donneras-tu la réminiscence ?

Pythagore. En commençant par t’imposer un calme parfait, le mutisme absolu de cinq années.

Le marchand. Va-t’en, mon cher, instruire le fils de Crésus[4] : je veux être un homme qui parle, et non une statue. Mais enfin, après ce silence de cinq ans, que ferai-je ?

Pythagore. Tu t’exerceras à la musique et à la géométrie.

Le marchand. Tu es charmant ; il faut commencer par être musicien pour devenir sage.

[4] Pythagore. Ensuite tu apprendras à compter.

Le marchand. Je sais compter.

Pythagore. Comment comptes-tu ?

Le marchand. Un, deux, trois, quatre.

  1. Toutes les réponses de Pythagore sont en dialecte ionien.
  2. Cf. Le Songe ou le Coq, § 18.
  3. Suivant Pythagore, toute science n’est que réminiscence. Nous nous rappelons en ce monde ce que nous avons appris dans un monde antérieur.
  4. Voy. Hérodote, I, xxxiv et lxxxv.