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ou Lyncée. Quant à toi, je sais, pour l’avoir lu dans les poètes, que tu étais devin, et que, seul parmi tous, tu fus tour à tour homme et femme. Dis-moi donc, je te prie, laquelle de ces deux conditions t’a paru la plus agréable : aimais-tu mieux être du sexe masculin ou du féminin ?

Tirésias

Je préférais être du féminin, Ménippe ! on y a moins d’embarras : les femmes sont les souveraines des hommes ; elles ne sont pas contraintes d’aller à la guerre, de faire sentinelle sur les remparts, de disputer dans les assemblées, de juger dans les tribunaux.

Ménippe

Tu n’as donc pas entendu, Tirésias, la Médée d’Euripide plaignant la malheureuse condition des femmes, condamnées aux douleurs insupportables de l’enfantement ? Mais dis-moi, car les iambes de Médée m’y font penser, lorsque tu étais femme, as-tu fait des enfants, ou bien es-tu demeurée bréhaigne et stérile ?

Tirésias

Pourquoi cette question, Ménippe ?

Ménippe

Je n’y vois rien d’embarrassant, Tirésias. Réponds donc, si tu veux bien.

Tirésias

Je n’étais pas stérile, et pourtant je n’ai pas fait d’enfant.

Ménippe

Fort bien ; mais avais-tu ce qu’il faut pour en faire ? Je suis curieux de le savoir.

Tirésias

J’avais ce qu’il faut.

Ménippe

Est-ce insensiblement que tout cela s’est défait, que les canaux sexuels se sont obstrués, que ta gorge a disparu, que ta virilité s’est produite, que ton menton s’est garni de barbe, ou bien as-tu passé tout à coup d’un sexe à l’autre ?

Tirésias

Je ne vois pas où tu veux en venir avec tes questions ; mais tu ne me sembles pas bien convaincu que cela se soit passé de la sorte.

Ménippe

Pourquoi donc, Tirésias ? On n’en doit pas douter, et il faut, comme un niais, accepter ces faits, possibles ou non.

Tirésias

Tu ne crois pas non plus aux autres métamorphoses, quand tu entends dire que des femmes sont devenues oiseaux, arbres, bêtes sauvages, par exemple, une Aédon, une Daphné et la fille de Lycaon ?

Ménippe

Si jamais je les rencontre, je saurai ce qu’elles en