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Je vais donc m’en défaire, puisque tu le veux.

Ménippe

Fais-lui donc ôter aussi, Mercure, cette énorme barbe, si velue, comme tu vois : chaque poil pèse au moins cinq mines.

Mercure

C’est juste : ôte-moi cela !

le Philosophe

Et qui la coupera ?

Mercure

Ménippe que voici : il va prendre la hache du batelier, et l’échelle lui servira de billot.

Ménippe

Non, Mercure ; donne-moi une scie ; ce sera plus risible.

Mercure

Il suffit de la hache... Fort bien ! tu as repris un air plus humain, en quittant cette odorante parure des boucs.

Ménippe

Veux-tu aussi que je lui rogne un peu les sourcils ?

Mercure

Oui, il les relève trop sur son front, et je ne sais pourquoi il se redresse ainsi. Eh bien ! tu pleures, coquin ; tu trembles à l’aspect de la mort ! allons, monte !

Ménippe

Il porte encore sous l’aisselle quelque chose de fort lourd.

Mercure

Qu’est-ce donc, Ménippe ?

Ménippe

La flatterie, Mercure, qui lui a été très utile durant sa vie.

Le Philosophe

Et toi, Ménippe, laisse là ta liberté, ton franc parler, ton caractère sans souci, ton sans-gêne et ton rire : tu es ici le seul qui ne pleure point.

Mercure

Non pas ; garde-les, Ménippe ; c’est léger, facile à porter, et très utile pour ce trajet. Mais toi, l’orateur, quitte-nous cet immense fleuve de paroles, antithèses, comparaisons, périodes, barbarismes, et tout ce qui donne du poids aux discours.

L’Orateur

Tiens, je ne les ai plus.

Mercure

Fort bien ! Lâche les amarres, tirons l’échelle et levons l’ancre ! Déploie la voile, nocher, prends le gouvernail, et bon voyage ! Pourquoi pleurez-vous, fous que vous êtes, toi surtout, philosophe, à qui l’on vient de couper la barbe ?

Le Philosophe

Parce que, Mercure, je croyais l’âme immortelle.

Ménippe

Il en a menti : c’est autre chose qui le chagrine.