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IV
INTRODUCTION ET NOTICE.

et plaida dans les tribunaux d’Antioche. Mais à peine eut-il connu, suivant son propre aveu[1], tous les désagréments de ce métier, la fourberie, le mensonge, l’impudence, les cris, les luttes et mille autres choses encore, qu’il laissa là les procès et l’attirail de la chicane pour se tourner vers la rhétorique, et se mit à voyager. On voit par un passage intéressant de la Double accusation[2] qu’il réussit aussitôt dans cette nouvelle carrière, mieux faite pour son génie, et que, selon la promesse que lui en avait faite la Science[3], il gagna des sommes considérables[4] en appliquant son talent oratoire à des déclamations publiques, à des improvisations, dont la finesse et la gaieté divertissaient ses nombreux admirateurs. C’était alors le bon temps des sophistes[5]. « Ils annonçaient un discours, dit M. Boissonade[6], comme aujourd’hui un musicien voyageur annonce un concert, et les peuples accouraient de toutes parts pour les entendre et leur payer généreusement le plaisir qu’ils procuraient. » Lucien les imita, et commença ses pérégrinations en Ionie, en Achaïe, en Macédoine, en Italie et dans les Gaules, lisant ou récitant des opuscules du genre de ceux qui nous restent sous les titres d’Harmonide, Zeuxis ou Antiochus, le Scythe ou le Proxène, Hérodote ou Aétion, Bacchus, l’Éloge de la mouche, etc. Ce fut à cette époque qu’il se rendit à Athènes, afin de s’instruire dans les arts de la Grèce, et qu’il fit un séjour à Rome auprès du célèbre philosophe Nigrinus[7]. Devenu riche, et jouissant d’une grande réputation de rhéteur, il revint une seconde fois en Grèce, vécut à Athènes dans l’intimité de Démonax[8], assista au suicide fanatique de Pérégrinus[9], et entra dans la seconde phase de son talent, en commençant son rôle de philosophe et de satirique.

  1. Le Pêcheur ou les Ressuscités, 29.
  2. La Double accusation, 27.
  3. Le Songe, 11.
  4. Apologie pour ceux qui sont au gages des grands, 15.
  5. Voy. Philostrate, Vies des sophistes; Louis Crésol, Theatrum veterum rhetorum, etc.; et Belin de Ballu, Hist. de l’éloquence chez les Grecs.
  6. Biographie universelle de Michaud, art. Lucien.
  7. Voy. l’opuscule de ce nom.
  8. Ib.
  9. Ib.