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La Petite Kabilie

Mais les grottes souterraines de Djijelli, depuis peu découvertes (par un hasard de la dynamite, je crois) ; encore impolluées ; refermées sur soi, dès qu’on y entre, comme les pétales d’un géant lis ; leurs stalactites et stalagmites éclatant d’une blancheur surnaturelle sous le magnésium ; leurs carpes aveugles remontées du fond des eaux ensevelies, retrouvant un embryon d’yeux pour sentir que la lumière, chose inconnue pour elles, vient de déchirer leur éternelle obscurité, — cette révélation d’un mystère caché depuis des siècles m’enthousiasma, m’enthousiasme encore quand j’y songe.

J’ai bien peur que, depuis plus de trente ans qu’eut lieu cette visitation, des mutilations, d’ineptes inscriptions d’amoureux, des ampoules électriques et (tout est possible), des réclames d’hôtels et autres n’aient à jamais chassé les âmes inconnues dont cette grotte sans tache était la demeure. Je n’irai certainement pas y voir, et tiens pas à le savoir.

Mais voici, je l’avoue, mon plus beau souvenir de la Petite Kabylie.

Après une longue montée dans le Thababor, nos chevaux demandant quelques instants de repos, nous obliquons, en dehors de la piste, vers cette prairie si verte et si haut perchée.

Gardant des chèvres, assis tout seul dans l’ombre des arbres, un berger d’une dizaine d’années… Encore une églogue ?

Je m’approche. Sa tunique est couleur de Tanagra ; blanc est son turban aux plis relâchés ; une seule boucle d’oreille, lourd pendentif d’argent, descend, à gauche, plus bas que son menton. Quel est le sang saharien qui court dans les veines de ce petit Kabyle ? Ses jambes et ses bras nus ont, de même que son visage, d’ardents reflets d’acajou. Ses paupières restant baissées, la courbe des cils noirs touche le haut de sa précieuse joue.