Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/561

Cette page a été validée par deux contributeurs.
520
DE YUN-NAN À TA-LY.

Nous avons trouvé des Man-tse dans les environs d’Houey-li tcheou, sur les contre-forts de la haute chaîne que l’on franchit en venant de Mong-kou. Elle n’est qu’une ramification des monts Leang, situés plus au nord, qui offrent à ces populations indomptées des retraites inaccessibles. Les Man-tse des environs d’Houey-li tcheou ont commencé depuis quelques années à se raser le front. Leurs cheveux sont réunis en chignon sur le sommet de la tête ; une pièce d’étoffe entoure ce chignon et se noue par derrière. Les femmes se suspendent à l’oreille un petit panier plein de coton, auquel est attaché leur fuseau qu’elles font tourner avec la main gauche[1]. La religion des Man-tse n’est pas le bouddhisme. Ils ont des prêtres et des livres particuliers. Les Si-fan habitent à l’est des monts Leang et descendent au sud du Kin-cha kiang jusqu’aux environs de Ta-yao ; ils ont toujours les mœurs dissolues qui, au treizième siècle, avaient excité l’indignation de Marco Polo. Les Lissous, dont nous avons vu quelques familles à Ma-chang et à Nga-da-ti, se retrouvent beaucoup plus à l’ouest sur la rive droite du Lan-tsang kiang. Ils sont renommés pour leurs brigandages. Certains villages des environs de Pien-kio payent à une de leurs tribus nommée Tcha-su, une rente annuelle, sorte d’assurance contre l’enlèvement des bestiaux. Cet impôt ne préserve pourtant pas de tout dommage ; quand leurs troupeaux leur sont volés, les assurés ne recouvrent que la moitié de leur valeur. Les Lissous sont grands chasseurs de chevrotins musqués.

Au confluent du Kin-cha kiang et du Pe-chouy kiang, on retrouve des populations laotiennes, qui portent là comme dans le sud de la province, le nom de Pa-y. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, ce rameau de la branche thai paraît avoir reçu du Tibet son écriture et sa civilisation. Quelques vagues indications sembleraient devoir faire rapprocher des Pa-y les tribus de mœurs douces et paisibles qui, sous le nom de Lou-tse, Telons, Didjous, Arrous, habitent les bords de l’Iraouady, de la Salouen et du Cambodge entre le 27e et le 30e parallèle[2].

À la même latitude, entre le Cambodge et le fleuve Bleu, la masse de la population appartient à la race mosso. Elle a formé autrefois un royaume, d’abord indépendant, puis tributaire de la Chine, dont la capitale était Li-kiang. Entre A-ten-tse et Oué-si, tous les chefs indigènes sont mossos et relèvent du mandarin chinois de Oué-si[3]. On doit sans doute rattacher les Mossos au rameau tibétain[4]. Il en est de même de la tribu des Lama-

  1. Voy. t. II, p. 326, la figure représentant des Man-tse de Li-tse-chou, village situé à l’est de Houey-li tcheou.
  2. Voy. les détails donnés sur ces tribus par M. l’abbé Desgodins (la Mission du Tibet, p. 321 et suiv.). La description qu’il fait des habitations des Lou-tse est identique à celle que j’ai donnée moi-même des maisons pa-y du sud du Yun-nan. M. Cooper, dans son livre intitulé Travels of a pioneer of commerce, confond (p. 310) les Lou-tse et les Lissous et prend souvent les titres des chefs de tribu pour des noms de peuplade. C’est ainsi (p. 312) qu’il parle des Ya-tsu et des Mooquors. Ya-tsu est l’orthographe anglaise de Ye-tche, petite localité où réside le chef mosso de qui dépendent les tribus Lou-tse et Lissous du voisinage. Mooquor, en langue mosso, signifie simplement chef, mandarin. L’ouvrage de M. Cooper, en dehors des renseignements qui lui ont été fournis par les missionnaires, est rempli de méprises de ce genre.
  3. Abbé Desgodins, op. cit., p. 332.
  4. Les seuls mots de la langue mosso que j’ai pu me procurer sont les suivants : hantse, « manger » ; khépa khé tche ma seu, « je ne sais pas parler le chinois », littéralement : « chinois, je ne connais pas la langue. »