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voyant qu’il soit parvenu à dominer le faible cénacle chinois que Pékin envoie pour gouverner cette province lointaine. Il est criblé de blessures, et il montre avec fierté ces preuves de sa bravoure qui, mieux que des diplômes, l’ont conduit au pouvoir. Son appartement est un véritable arsenal où l’on trouve avec surprise une collection formidable d’armes européennes de toutes sortes : carabines, tromblons, armes à répétition, fusils Lefaucheux, révolvers. Il s’exerce toute la journée à l’usage de ces différents engins, et il est peu de meubles chez lui qui ne soient littéralement criblés de balles. Autour de lui vit un état-major mahométan dont le costume et la physionomie tranchent vivement sur les allures habituelles des Chinois. On voit que ces gens-là sont habitués à être craints, et se sentent revêtus aux yeux de la foule du prestige qui entoure leur terrible maître.


Le Ma ta-jen ne nous rendit pas notre visite, mais toutes les autorités de la ville, où se trouvent les six grands tribunaux de la province, défilèrent successivement dans notre yamen. Le Ma ta-jen nous invita à un grand dîner avec toute notre escorte, le 30 décembre. Ce qu’il y eut de plus singulier, ce ne fut pas le festin, précédé de graines de pastèques et d’oranges exquises, et composé suivant l’usage de nids d’hirondelles, de queues et d’entrailles de poissons, de canards laqués et autres mets connus des touristes, mais l’abstention complète de notre hôte et de ses officiers, qui observaient alors le jeûne du Ramadan. Nous dînâmes seuls, avec un ou deux mandarins chinois et environnés d’une galerie de spectateurs.

Le 31 décembre, arriva à notre yamen un néophyte chrétien qui avait été porter à Pékin une lettre écrite par le P. Fenouil, en faveur du Ma ta-jen, cette lettre désignait le général mahométan comme le seul homme capable de pacifier le Yun-nan. Le P. Fenouil priait en conséquence la légation de France de recommander chaudement le Ma ta-jen au gouvernement chinois. Le P. Protteau nous communiqua la réponse de notre ambassadeur à Pékin, M. de Lallemand. Il annonçait qu’il avait fait une démarche en faveur du Ma ta-jen et que le gouvernement chinois allait lui expédier des armes, de l’argent et des vivres pour l’aider dans sa lutte contre les révoltés.

La population de la ville de Yun-nan ne peut guère être évaluée à plus d’une cinquantaine de mille habitants. Les immenses faubourgs, en partie détruits, qui se prolongent pendant une lieue en dehors de l’enceinte, devaient, avant la guerre, quadrupler ce chiffre.

L’enceinte a une forme rectangulaire et mesure environ trois kilomètres dans le sens nord et sud, et deux kilomètres dans le sens perpendiculaire. Elle a six portes bastionnées : deux sur le côté est ; deux sur le côté sud et une sur chacune des deux autres faces. Le fossé est alimenté d’eau, par une rivière canalisée, qui longe la face orientale de l’enceinte. Le terrain sur lequel la ville est construite descend en pente vers le lac, et quelques monticules en accidentent la partie nord. Entre deux de ces monticules, dans une dépression du sol, s’étendent des jardins et des rizières qui occupent presque complètement l’angle nord-ouest de l’enceinte. Là se trouvent quelques restaurants, quelques maisons de plaisance, et ces maisons à thé, qui remplacent en Chine nos cafés chantants.

La partie commerçante de la ville a, malgré la guerre, une physionomie très-remar-