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accueil moins bruyant, moins solennel, mais plus confortable et plus cordial qu’à Tong-hay. Le sous-préfet de la ville nous logea dans un yamen attenant à sa résidence, et nous pûmes, pendant deux jours, nous chauffer tout à notre aise, sans avoir rien à craindre des importuns. Ce fut de ce point que M. de Lagrée adressa à la première autorité civile de Yun-nan, Song ta-jen, et au premier mandarin militaire de la province, Ma ta-jen, deux lettres destinées à leur annoncer notre arrivée.

Le Song ta-jen était un mandarin à bouton bleu qui avait remplacé l’année précédente le vice-roi Lao, mort le 22 février 1867. Il attendait qu’un titulaire fût officiellement désigné par Pékin à la dignité vacante : cette nomination avait eu lieu, disait-on ; mais le nouvel élu, peu soucieux de prendre la direction des affaires dans une situation aussi critique, restait dans le Se-tchouen sous divers prétextes. Le Ma ta-jen était un soldat de fortune, dont le vrai nom était Ma-hien ; il vendait du sucre d’orge lorsqu’éclata en 1856 la révolte des Mahométans. Il convient de donner rapidement ici un aperçu des causes et des principales phases de cette guerre.

Les révoltes qui pendant les trente dernières années sont venues ébranler la puissance de la dynastie tartare n’ont pas tardé à avoir leur contre-coup dans le Yun-nan, où les Mahométans sont influents et nombreux. Encouragés par l’exemple de leurs coreligionnaires de Chen-si, ils voulurent prendre un rôle prépondérant et affichèrent des exigences intolérables. En 1856 ils provoquèrent à Yun-nan une sédition à la faveur de laquelle ils pillèrent la ville. Les hauts fonctionnaires chinois, après en avoir référé à Pékin, résolurent de s’en débarrasser par un massacre général. Le gouverneur de Ho-kin, ville située entre Li-kiang et Ta-ly, s’était acquis une certaine réputation en combattant les Taï-ping dans le Kouang-si ; il fut chargé de donner le signal de cette sanglante exécution. Il réunit tous les vagabonds et les gens sans aveu du pays, leur fournit des armes, et au jour fixé les précipita sur les Mahométans, dont un millier environ furent exterminés. D’autres massacres eurent lieu en même temps sur différents points de la province. Les Koui-tse, qui depuis longtemps s’organisaient pour la résistance, se soulevèrent aussitôt à la voix d’un simple bachelier de Mong-hoa nommé Tou-uen-sie, orphelin chinois qui avait été adopté en bas âge par un mahométan. Sa petite armée, qui ne se composait d’abord que de quarante sectaires, s’accrut bien vite des Musulmans échappés au massacre de Ho-kin et de ceux que la crainte d’un sort semblable faisait fuir de Yong-pe et des autres villes du voisinage. Il alla attaquer avec six cents hommes Ta-ly, la seconde ville de la province du Yun-nan, que son admirable position stratégique et commerciale désignait au choix des révoltés. La ville, gardée par une garnison de quatre mille hommes, composée en partie de Mahométans, se laissa prendre sans résistance (avril 1857). Le gouverneur de Ho-kin vint immédiatement en faire le siège ; mais ses troupes, qui comptaient plus de pillards et d’assassins que de soldats, furent mises en déroute. Les Mahométans marchèrent aussitôt sur la capitale de la province, dont ils s’emparèrent ; le vice-roi chinois, nommé Pang, ne tarda pas cependant à les en chasser ; mais un ardent sectaire qui avait fait autrefois le voyage de la Mecque et qui avait reçu de ses coreligionnaires le titre de Lao-papa, fomenta peu après de nouveaux troubles à la faveur desquels le vice-roi fut assassiné et le Lao-