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pierres précieuses. Ils avaient eu tellement à souffrir des piqûres de sangsues, que leurs jambes étaient démesurément enflées et hors d’état de continuer leur service. Le docteur Thorel donna quelques médicaments à ces pauvres gens qui s’étonnaient beaucoup de notre intention de poursuivre notre voyage malgré la saison des pluies. « Vous ne trouverez plus ni routes ni porteurs, » disaient-ils. L’aspect de Sop Yong ne nous apprenait que trop que le village ne nous fournirait pas les porteurs nécessaires. Il fallut aller en recruter dans les villages environnants. Le 27, je partis en barque dans ce but, avec le chef du village ; je profitai de cette occasion pour reconnaître le Mékong à quelques milles en amont de Sop Yong, Les grandes pirogues creusées dans un seul tronc d’arbre ont ici complètement disparu. Les habitants construisent leurs embarcations, qui sont d’ailleurs de dimensions très-faibles, en trois morceaux. Le plus épais forme le fond de l’esquif ; les deux autres en forment les flancs ; des trous sont pratiqués à se correspondre sur les deux lignes de raccordement, et on y passe un rotin, de telle sorte que le fond de la barque paraît être cousu aux bordages latéraux ; on calfate les coutures avec de l’étoupe et de la résine.

Nous échouâmes dans notre tentative de recrutement. Les rives du fleuve ne sont habitées dans cette région que par des réfugiés Lus, peu nombreux et fort indépendants, qui ont abandonné le royaume voisin de Xieng Hong, à la suite des guerres qui l’ont récemment désolé.

Le 30 juillet, les malades que nous avions laissés à Siemlap nous rejoignirent.

Il fallait renoncer à subsister tous ensemble à Sop Yong et à trouver dans les environs un nombre de porteurs suffisant pour transporter d’un seul coup tous nos bagages à Ban Passang, qui était notre prochaine étape dans la direction de Muong You. Le commandant de Lagrée, atteint d’un gonflement à l’aine, qui était le résultat des piqûres de sangsues, se résigna de nouveau à scinder en deux la colonne expéditionnaire. Je pris la direction de l’une et je partis, le 31 juillet, avec MM. de Carné et Thorel et la moitié de nos bagages. Pour parfaire le nombre de porteurs qui m’était nécessaire, quelques femmes du village durent se joindre à leurs maris. M. de Lagrée resta à Sop Yong avec MM. Joubert et Delaporte.

Au départ de Sop Yong, la route, facile et bien tracée, se suspend en corniche au-dessus du Nam Yong ; au moment de notre passage, elle était littéralement pavée de sangsues avides et agiles, qui de toutes les feuilles, de tous les brins d’herbe s’élançaient sur nous.

Dès qu’on s’éloigne des bords du fleuve, les vallées des affluents qui s’y déversent s’élargissent, les collines deviennent moins abruptes et se transforment en une série de plaines onduleuses et herbacées, coupées de marais et de ruisseaux, et très-propres à un grand nombre de cultures riches. Malheureusement, le pays est peu ou point habité et encore moins cultivé, et le second jour de notre route, après avoir quitté les bords du Nam Yong pour remonter vers le nord, nous eûmes à franchir des espaces inondés couverts de hautes herbes, à travers lesquels nous cheminions pendant des kilomètres entiers avec de l’eau jusqu’à la ceinture.