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RUINES DE XIENG SEN.

C’est à l’extrémité de ce détour, qu’il reçoit les eaux du Nam Cok. Cette rivière, d’une largeur considérable, est alimentée par la chaîne qui sépare la vallée de la Salouen de celle du Cambodge, chaîne à laquelle les Birmans donnent le nom de Tanen taoung gyi. Vis-à-vis de son embouchure, on voit le lit, aujourd’hui à sec, d’un bras du fleuve qui détachait le long de la rive gauche, une île très-considérable, Don Moun. Il y a une dizaine d’années environ que les eaux ont abandonné ce bras, sans doute en vertu de la tendance qu’a le courant, dans les terrains meubles, à attaquer le côté extérieur des courbes décrites par le fleuve et à s’éloigner du côté intérieur. Peut-être aussi, le changement de direction du courant du Nam Cok, occasionné par le déplacement des sables à son embouchure, n’a-t-il pas été étranger à cet événement.

Après l’embouchure du Nam Cok, le Cambodge se redresse lentement vers le nord : nous étions arrivés au point le plus occidental que nous dussions atteindre pendant notre voyage et nous ne nous trouvions plus qu’à une faible distance de l’itinéraire, suivi en 1837 par le lieutenant Mac Leod, pour se rendre de Xieng Mai à Xieng Tong. Une île, Don Ten, s’interpose entre l’embouchure du Nam Cok et les ruines de la ville de Xieng Sen qui s’étendent sur la rive droite à quelques milles en amont. Le fleuve continue à couler lentement entre deux berges basses et couvertes de forêts de teck ; sa largeur est de 4 à 500 mètres ; je trouvai 16 mètres de profondeur maximum, vis-à-vis de l’emplacement de Xieng Sen. Cette plaine, qui était jadis l’un des centres les plus importants de la puissance laotienne, est aujourd’hui, malgré sa fertilité et son admirable situation, complètement déserte : objet de la convoitise des Siamois et des Birmans, aucun d’eux n’a jusqu’à présent été assez fort pour s’en assurer la possession exclusive, et elle reste une sorte de terrain neutre abandonné aux animaux sauvages, propriétaires moins turbulents et plus sages que l’homme.

La destruction de Xieng Sen remonte à plus d’un demi-siècle et forme un épisode des guerres qui suivirent la révolte de Xieng Mai contre la Birmanie.

Rien n’apparaît au-dessus des hautes herbes qui ont envahi l’emplacement de l’ancienne métropole du Laos septentrional, que la flèche d’un Tât, presque aussi considérable que celui que nous avions visité à Vien Chan, et appelé comme lui Tât Luong ou « Tât Royal ». Quelques sentiers à demi effacés partent de la rive et s’enfoncent dans les broussailles ; on rencontre çà et là quelques monceaux de briques, quelques statues de Bouddha renversées ; plus loin une aire bien nivelée et préservée de l’envahissement de la végétation par un dallage en brique ou en béton ; ailleurs, quelques colonnes en bois dur, sur lesquelles sont visibles encore des traces de dorure. Les cimes en fleur de quelques arbres à fruit, redevenus sauvages, se dégagent des hautes herbes et indiquent l’emplacement des jardins de la ville ; des palmiers éventails contrastent par leur forme singulière avec l’aspect uniforme des forêts de teck avoisinantes. En remontant le Nam Cok, on trouve également les ruines d’une autre ville laotienne, Xieng Hai ou Xieng Rai ; elles ont été visitées par Mac Leod en 1837 : d’après une légende rapportée par ce voyageur, le prince qui fonda Xieng Hai, donna dès sa naissance des signes non équivoques de sa puissance future : il brisa tous les berceaux dans lesquels il fut placé, et l’on dut lui en donner