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à la cordelle. Quelques chercheurs d’or travaillaient sur la rive droite au milieu des excavations des rochers. Nous franchîmes ce jour-là la limite des provinces de Nong Kay et de Xieng Cang.

On comprend que cette pénible navigation ne pouvait être que fort lente. Le 7, nous dûmes décharger complètement les barques pour franchir Keng Pansao[1], rapide formé par un rocher énorme divisant le chenal en deux passes de vingt-cinq mètres de largeur chacune ; je ne trouvai pas de fond à 35 mètres à toucher la rive. En amont de Pansao, le chenal, large d’une centaine de mètres, devient un instant très-facilement navigable ; le courant est faible, l’eau très-profonde. Nous nous arrêtâmes à 6 heures du soir, au village de Hay. Le cours du fleuve, après s’être un instant relevé jusqu’au nord-ouest, était revenu au sud-sud-ouest. De petites chaînes de montagnes s’étageaient dans toutes les directions en arrière des rives. Au milieu de la plaine de rochers au sein de laquelle se perdaient les eaux du Mékong, s’élevaient çà et là quelques arêtes schisteuses recouvertes de végétation ; aux hautes eaux, les bouquets d’arbres qui les surmontent se transforment en îles verdoyantes, et la hauteur qu’avait à ce moment leur piédestal de roche pouvait servir à mesurer la crue totale du fleuve. Nous étions arrivés au pied de l’un des rapides les plus dangereux de cette région, le Keng Chan. Cette fois, les bateliers de Nong Kay se refusèrent absolument à risquer le passage. Il nous fallut camper dans le lit du fleuve[2]. Keng Chan ne présentait pas de difficultés d’une autre nature que celles que nous avions rencontrées jusque-là ; mais sa longueur considérable augmentait les chances d’immersion des barques, qu’il aurait fallu traîner contre un courant de foudre pendant plus de 100 mètres. On envoya des émissaires au village le plus voisin en amont, demander que de nouvelles barques vinssent prendre nos bagages au-dessus du rapide.

Les rives de l’endroit désert où nous nous trouvions arrêtés portaient les marques les plus nombreuses et les moins équivoques du passage des bêtes sauvages. De véritables troupeaux de cerfs avaient tracé, en certains endroits, un large chemin pour venir se désaltérer dans les eaux du fleuve ; quelques-uns de nos hommes passèrent la nuit à l’affût pour essayer de les surprendre, et ils réussirent à en tirer un ou deux ; mais les animaux blessés eurent assez de force pour atteindre les broussailles de la rive, au milieu desquelles on les perdit. Il eût été aussi difficile que dangereux de les y poursuivre.

Le 9 avril, vers 10 heures du matin, d’autres barques arrivèrent du village de Sanghao, situé sur la rive droite, à six ou sept milles en amont de Keng Chan. Pendant qu’elles chargeaient nos bagages et qu’elles remontaient à la cordelle l’étroit chenal du fleuve, nous nous acheminâmes à pied le long de la rive gauche, pour nous livrer plus à notre aise à nos études favorites.

Dans un voyage de cette nature, on ne doit certes pas s’attendre à trouver toujours des chemins frayés. Mais, quelque habitués que nous fussions déjà à prendre « à travers champs », la rude gymnastique à laquelle nous dûmes nous livrer pour atteindre pédes-

  1. Le nom de ce rapide a été écrit trop à droite sur la carte et doit être rapporté à la branche descendante et non à la branche ascendante du fleuve.
  2. Voy Atlas, 2e partie, pl. XXIV.