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pratiquées dans la plupart des troncs et servaient de réservoir à l’huile de bois que cette espèce produit en quantité considérable. Quelques-unes de ces excavations étaient recouvertes avec soin de larges feuilles pour empêcher l’introduction de l’eau de pluie.

Le 16 juillet, nous nous trouvions en présence de véritables rapides : les rives nettes et bien dessinées des îles qui avaient encadré jusque-là le bras du fleuve que nous suivions s’effacèrent tout d’un coup. Le Cambodge se couvrit d’innombrables bouquets d’arbres à demi submergés ; ses eaux limoneuses roulaient avec impétuosité dans mille canaux dont il était impossible de saisir l’inextricable réseau. D’énormes blocs de grès se dressaient le long de la rive gauche et indiquaient que des bancs de la même roche traversaient la rivière dans toute sa largeur. À une assez grande distance de la rive, les bambous des piqueurs trouvaient le fond à moins de trois mètres, et nos barques n’avançaient qu’avec le plus grand effort contre un courant qui, en certains endroits resserrés, atteignait une vitesse de 5 milles à l’heure.

Les pluies et les orages ralentirent encore notre marche. Nous eûmes les plus grandes peines à trouver le soir un gîte sûr pour nos barques, et la crue subite de la petite rivière à l’embouchure de laquelle nous cherchâmes un abri, nous mit en danger d’être emportés pendant notre sommeil et jetés à l’improviste au milieu du courant du grand fleuve.

Nous couchions maintenant dans nos pirogues, dont le toit nous garantissait peu de la pluie : il ne fallait pas que l’orage durât bien longtemps pour percer de part en part les nattes et les feuilles qui le composaient. La température ne rendait point ces douches bien pénibles à supporter, et on se résignait assez facilement à ne pas dormir en contemplant l’illumination fantastique et véritablement grandiose que les éclairs incessants entretenaient sous les sombres arceaux de la forêt, et en écoutant le bruit éclatant du tonnerre, répercuté par tous ses échos, se mêler au grondement sourd et continu des eaux du fleuve.

Le 19 juillet, nous sortions de cette zone de rapides. Nous étions arrivés à la limite du Cambodge et du Laos sur la rive gauche du fleuve. Près de la rive droite, qui appartenait toujours à la grande province de Compong Soai et un peu en aval, se trouvait un rapide, celui de Preatapang, que les bateliers donnaient comme le passage le plus dangereux de toute cette partie du fleuve. M. de Lagrée m’engagea à essayer de le reconnaître, et je partis à cet effet dans une petite pirogue. Arrivé au milieu du fleuve, le long d’une île d’où l’on découvre une assez longue perspective en aval, mes rameurs me montrèrent du doigt la direction de Preatapang. Ce fut tout ce que j’en obtins : malgré toutes mes instances, ils me ramenèrent à la rive d’où nous étions partis et qu’avait continué de suivre le reste de l’expédition. Nous convînmes, M. de Lagrée et moi, que ce ne serait que partie remise, et que, dès notre arrivée à la prochaine étape, je tenterais une reconnaissance de la rive droite du fleuve jusqu’à Sombor, point où nous avions cessé d’apercevoir cette rive.

Le 20 juillet, le cours du fleuve qui s’était infléchi à l’ouest dans le passage des rapides, était revenu exactement au nord, et pour la première fois l’horizon nous montrait dans cette direction quelques ondulations de terrain. Le fleuve était redevenu calme et d’une apparence magnifique ; sur la rive gauche se montraient les premières habitations lao-