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Or, je veux bien que les courtisanes aient parfois plus de génie et plus de talent que leurs peintres, qu’elles atteignent à des raffinements d’une délicatesse admirable, et qu’au moment suprême où l’on en ressent l’effet, on serait parfois aussi tenté de les applaudir que de les embrasser : toujours est-il que ce sont des ouvrières, puisque leur tâche est mécanique, et il n’y a pas de travail manuel qui ne soit bientôt funeste à l’harmonie du corps. Ce sont même des ouvrières servantes puisqu’elles se règlent sur nos caprices et il n’y a pas d’obéissance qui ne soit désastreuse pour la beauté de l’esprit. Leur monopole esthétique en Europe est donc le fait d’une usurpation, et je me félicite d’avoir élevé le niveau mental de mes sujets en leur permettant de constater en paix la beauté des vierges, quand nos voisins fondent tout leur art sur la bedaine de quelques drôlesses.

— Vous êtes un artiste, sire, fit Giglio.

— Non, répondit Pausole. J’aime la nature telle que les dieux l’ont faite, et j’aime tant à la voir que je ne trouve pas le temps de la regarder par les yeux des autres, comme font les collectionneurs de tableaux. Je ne suis pas artiste du tout.

Sur ce, il regarda son page, comme s’il attendait de lui une approbation nouvelle.