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nent leurs lances comme des chandelles et leurs brides comme des serviettes. Il suffit de les voir de dos pour comprendre ce qu’ils sont et qu’au premier coup de carabine, ils fileraient avec mon zèbre. Moins légèrement peut-être.

— Les pauvres gens ! dit le roi Pausole. Que leur casque doit être chaud et leur pique pesante à porter ! Pourquoi n’ôtent-ils pas leur veste par le temps accablant qu’il fait aujourd’hui ? Ont-ils au moins leur gourde à rhum et des pêches dans leur musette ? Taxis, vous êtes impardonnable si vous n’y avez pas songé.

Taxis étendit sa main sèche :

— Je leur donne, déclara-t-il, le plaisir de la privation. C’est là une joie supérieure. Ils savent qu’il y a, dans les prés, des ruisseaux où l’on peut boire, et, sur les bords de la route, des cabarets gorgés de tonneaux, tandis qu’ils ont la gorge aride, la langue sèche et le ventre creux. Ils savourent la jouissance amère de la soif. Moi qui viens, hélas ! de me désaltérer, j’envie leur bonheur dont je me prive par une mortification double.

À demi-retourné sur sa selle, le Roi regarda son ministre. Il l’examina en détail depuis ses souliers plats et ternes jusqu’à son chapeau de feutre