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de son estrade théâtrale. Je n’avais pas même le droit de l’accompagner à sa porte, et je ne gardais ma place auprès d’elle qu’à la condition de ne lui faire aucun reproche, ni sur le passé, ni sur le présent. Quant à l’avenir, j’ignore ce qu’elle en pensait ; pour moi, je n’avais nulle idée d’une solution quelconque à cette aventure pitoyable.

Je savais vaguement qu’elle habitait avec sa mère — dans l’unique faubourg de la ville, près de la plaza de Toros, — une grande maison blanche et verte qui abritait aussi les familles de six autres bailerinas. Ce qui se passait dans une telle cité de femmes, je n’osais l’imaginer. Et pourtant, nos danseuses mènent une vie bien réglée : de huit heures du soir à cinq heures du matin elles sont en scène ; elles rentrent exténuées à l’aube, elles dorment, souvent toutes seules, jusqu’au milieu de l’après-midi. Il n’y a guère que la fin du jour dont elles pourraient abuser ; encore la crainte d’une grossesse ruineuse retient-elle