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Je défie bien n’importe qui d’émettre une pensée quelconque sans qu’un pion vienne lui opposer un Sanscrit ou Arabe qui l’aurait dit avant lui, ou plutôt qui aurait émis une pensée analogue.


Dis-je une pensée assez belle ?
L’Antiquité, toute en cervelle,
Prétend l’avoir dite avant moi.
C’est une plaisante donzelle !
Que ne venait-elle après moi !
J’aurais dit la chose avant elle.


D’Aceilly avait bien raison. En somme, j’ai autant de mérite que La Fontaine, puisque j’ai eu cette pensée sans me souvenir qu’il l’avait déjà exprimée.

C’est cela qui fait le mérite, et c’est justement parce qu’il y a des gens actuellement, Richepin et Cie, pour ne pas les nommer, qui prétendent n’écrire que des choses neuves, c’est pour cela que ces poètes en sont réduits à n’écrire que des divagations alambiquées et insensées, qui donneraient raison à tous les pessimistes du monde en matière littéraire.

Et c’est pour cela que tout ce que j’ai écrit aujourd’hui dans ce journal est stupide ; car ce n’est pas la nouveauté qui fait la beauté ou la profondeur d’une pensée, c’est la manière dont elle est exprimée.