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par sa manière d’être vis-à-vis de moi, que je l’ai supplié de ne plus m’écrire, et pendant deux mois et demi nous avons cessé toutes relations ; j’étais parti pour la Savoie, occupé d’autres choses, attiré par la Chartreuse, hanté par « la Vierge », évoluant vaguement. Quand je songeais à lui, j’évitais de troubler les souvenirs anciens par le rappel d’attitudes plus récentes ; et j’étais arrivé à me convaincre que je le calomniais. Les jours passaient cependant, sans que le désir me prît de lui écrire ou de lui parler.

Nous nous sommes revus. Et dès le premier jour, je crois, il a repris pour me parler le même ton d’hypocrisie dédaigneuse qui m’avait révolté l’hiver dernier. Jamais de laisser-aller, jamais d’oubli, jamais d’amitié. Seul avec moi, il ne parlait plus qu’avec les réserves et les poses d’un journaliste célèbre qui se sent écouté dans un salon par quarante reporters prêts à noter ses mots. Quand il me demandait mon avis, c’était pour me prendre en faute, et relever mes théories avec un sourire en dessous. Une fois, pourtant, il fut aimable ; c’était ici même, dans ce cabinet, il me lisait son André Walter, et comme au bout de pages je lui disais que c’était très bien, il s’est précipité sur moi et, avec effusion, me serrant les deux mains : « Ah !… Ce bon Louis !… brave type !… ah !… » Et j’ai été pris d’une telle tristesse qu’il l’a vue peut-être. Ainsi, voilà donc ce qu’il lui fallait !