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ou quelqu’un à qui me confier. Je n’avais ni l’un ni l’autre. J’ai essayé de me confier ici, mais je sentais si vivement que je ne pouvais donner à ma détresse une forme littéraire et la gaucherie de mes phrases m’était une souffrance de plus.

Une seule chose m’aurait soulagé. Si j’avais pu savoir qu’au même moment elle aussi souffrait comme moi… Hélas, je n’en sais rien. M’aime-t-elle ? Je le veux, je l’espère, je le crois ; mais la certitude je ne l’aurai que le jour où elle aura parlé du regard une seconde fois. Le soir où je l’ai vue, je n’ai pu rien comprendre ; et depuis, je ne sais plus.


Troô, 11 juin, 9 h. soir.

Tout va recommencer comme le mois dernier ! Il me semble que je la vois moins bien qu’avant. C’est bien la peine d’être allé à Cholet ! Je pourrais reprendre toutes mes plaintes : je vois son sourire et je vois très bien son regard, mais séparément, et il m’est impossible de les souder et de reconstituer sa physionomie.

Oh ! cette fois ce n’est plus de la tristesse, c’est de la colère contre cette imparfaite mémoire qui ne me permet de rééprouver aucun des plaisirs sentis et qui me fait perdre parfois jusqu’au souvenir de leur existence. À un jour d’intervalle, j’ai eu mille peines à raconter la journée que j’ai