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détresse, que j’avais fort à faire à retenir mes larmes. Ainsi c’était fini. Faute d’un hasard, faute de cette dernière heure que je comptais avoir avec elle et où j’aurais pu, disant d’une voix émue des paroles insignifiantes, lui faire entendre, sinon penser elle-même de moi, ce que je pensais d’elle ; faute de cette dernière heure, j’étais malheureux plus que je ne puis dire, et mon rêve, depuis qu’il était destiné à rester irréalisé, se dressait dans mon esprit, exalté d’instant en instant, pour la première fois aperçu. Oh ! oui, c’était bien fini, je m’étais renseigné (avec des questions banales on peut tout savoir), elle ne viendrait pas à Rouen cette année, et plus à Paris avant l’été prochain. Moi, d’autre part, comment aller à Cholet ? Ainsi, plus une occasion de la revoir. Elle allait se marier sans doute… Et puis, comment lui écrire ? Aucun moyen. Si j’étais resté huit jours avec elle, j’aurais bien trouvé un prétexte ; mais au bout de deux jours… Oh ! surtout, n’avoir rien pu lui dire. Évidemment elle ne savait rien, elle n’avait rien vu… Était-ce bien sûr ? Peut-être au même instant de son côté pensait-elle à moi ? Et en effet il me revenait en mémoire des attitudes, des sons de voix quand elle me parlait, qui n’étaient point pour un indifférent. Ce matin, au déjeuner, elle avait fait un long manège très compliqué, changeant six fois de place, pour se rapprocher de moi, sous des causes simulées. Oh ! comme je maudissais Edmond