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échangions nos coupes de champagne, si bien que son père me rendait responsable de la rougeur de ses joues. Nous avons parlé plus de vingt fois ensemble, et moi cependant je ne voyais rien en moi, je tenais cela pour un plaisir en passant. J’ai bien vu enfin, dans mon retour à pied, quel vide se faisait au fond de moi. J’ai eu la fièvre toute la nuit, j’ai pris 80 centigrammes de sulfate de quinine et j’étais atterré surtout à la pensée que cela pourrait m’empêcher d’assister au déjeuner de ce matin. Aussi, dès le réveil, calculant les places, je me suis dit : « Serai-je auprès d’elle ? » afin d’avoir une excuse pour faire une imprudence. Hélas, je ne pouvais pas être près d’elle, mais j’y suis allé quand même. Nous avons fait semblant de ne pas nous voir, d’abord. Puis nous sommes montés, nous avons échangé quelques mots, on a déjeuné, on est parti ; j’ai demandé à suivre Lucie au Musée Grévin, croyant qu’elle nous accompagnerait, et quand je me suis retourné, je l’ai vue avec sa mère qui prenait une autre direction, et je suis resté seul, après avoir eu à peine le temps de lui envoyer un salut d’adieu.

Ces trois heures de Musée Grévin ont passé comme dans un rêve. J’ai quitté Lucie et les enfants à cinq heures, j’ai bouquiné je ne sais quoi, la tête lourde, puis je suis monté dans le tramway de la rue Taitbout, et il m’a pris comme en dernier, mais pour une cause plus chère, une telle