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ce que fait le corps, si l’âme n’y consent pas » ; c’est la seule qui puisse avoir un résultat.

Je suis la Cause et la Fin de moi-même. De tous les univers individuels, je suis le seul qu’il m’ait été donné d’entrevoir ; pourquoi m’égarerais-je au contact des autres ? Je veux vivre pour moi, par moi ; je veux ne demander au monde que les biens qui aident à penser. Volontiers je considérerais l’Œuvre comme une aspiration vers l’Idéal, sans valeur par elle-même, et je brûlerais mes vers, jour par jour, dédaignant de les livrer au public, insouciant des éloges bruyants et de la gloire extérieure.

Père, voilà le fond de ma pensée. Je n’ai pas d’orgueil, l’orgueil étant inutile. Je suis souvent bon pour les ignorés, et toujours respectueux quand je parle des Maîtres. Ceux qui me connaissent beaucoup ont vu en moi de la vanité et ont été tentés de me le reprocher ; c’était de leur part une erreur grave. La vanité, l’orgueil, la fierté, ce sont les défauts de ceux qui se croient libres. Je sais trop bien que je suis une machine toute faite, dont les mouvements eux-mêmes sont déterminés dans leur sens général, pour me glorifier de ce que je n’ai pas créé. Je suis simplement heureux. Mon esprit, tel qu’il m’a été donné, me plaît par la violence de ses enthousiasmes et la sérénité de ses contemplations. La route que je crois lui avoir tracée, et qui m’a peut-être été suggérée par une