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monté chez lui. Il n’était pas levé, et lui qui pose toujours pour la pruderie et pour la piété, il m’a fait un cours de morale pour me dire qu’il était scandalisé de la manière dont on se décolletait à Épernay. Il avait trouvé Marguerite inconvenante, Jeanne B… indécente ; T… dégoûtante. Le fait est que T… descendait bien bas. Mais où est le mal, puisque cela se fait ? Voilà la grande raison[1]. Pourquoi montre-t-on au bal les jeunes filles toutes nues jusqu’à la naissance des seins, et s’arrête-t-on là ? Pourquoi montre-t-on ses bras tout nus jusqu’à l’épaule, et paraîtrait-on très inconvenant si l’on montrait ses mollets même recouverts d’un bas ? Et les bains de mer, donc !

Tout cela a des règles incompréhensibles, stupides, mais que tout le monde admet. Cela se fait, et voilà tout. Dans dix ans, cela ne sera plus, mais on fera autre chose[2].

La mode de se décolleter est très inconvenante, c’est vrai, mais elle existe et je ne vois vraiment pas en quoi nous devrions nous en plaindre. Je ne trouve pas cela désagréable du tout et j’ai été charmé, je l’avoue naïvement, de connaître T…

  1. Je n’avais pas relu ce passage quand j’ai écrit mon Plaidoyer pour la liberté morale. Voilà donc un point sur lequel je n’ai pas changé d’avis. J’en suis étonné. Déc. 97.
  2. Dix ans ! Cela m’apparaissait comme l’extrême lointain. Quand je pense que si j’ai jamais une influence sur l’état moral de mes contemporains, ce ne sera guère qu’après ma mort ! Déc. 97.