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serait enivrant, ce départ en toute hâte, cet élan de la jeunesse humaine vers la jeunesse de la terre, des prairies et des forêts ! Le péché, cela ne pouvait pas être l’ardeur si belle, si franche avec laquelle il lui parlait dans la grande lumière du matin… Et puis… Charlotte indulgente… Le monde hostile aux solitaires et secourable aux enlacés… l’exemple des heureux, la pitié sur elle-même… tout, jusqu’à cette histoire atroce contée par son directeur : cette exilée revenant toujours amoureuse, la maison vide, l’amant disparu et séduit ailleurs…

Elle cria dans sa pensée :

« Je l’aime, je ne peux plus mentir à mon cœur. Ce n’est pas une voix étrangère qui me répète sans interruption : Suis-le ! C’est moi, c’est moi tout entière,» mon être, mon sang, ma vie. »


Mais ce ne fut qu’un cri. Dès qu’elle l’eût poussé, elle tomba sur les genoux, et pria. À l’instant où elle voyait clair dans son âme jusqu’alors si trouble, un retour d’énergie morale la roidissait enfin contre la passion démasquée. Elle ne s’en remettait plus du soin de la sauver, ni aux conseils d’une amie, ni aux ordres d’un directeur. Psyché luttait contre Psyché. Une guerre civile éclatait dans sa blanche cité intime. Un combat désespéré se livrait contre elle-même, entre sa volonté passionnelle et sa volonté réfléchie, corps à corps, dans la nuit cérébrale. Ce fut un terrible duel.