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sonne. Il me parle à l’oreille, il me regarde de si près que mon décolletage lui appartient et tout de suite, c’est le : « Voulez-vous ?… Quel jour ?… demain ? » que mon danseur m’avait déjà dit et que mon voisin de table m’avait laissé entendre. Je sors dans la rue : c’est l’ignoble suiveur qui m’aborde et s’attache à mon ombre. Il ne me quittera plus ; je puis marcher vite, il presse le pas ; entrer dans une boutique, il entre avec moi ; changer de trottoir, il me précède ; retourner sur mes pas, m’enfuir, il est là, il est toujours là, il est sur mon palier quand je sonne à ma porte ! Ah ! l’horreur !… Et que vous dire de plus ? Les honteux attouchements subis dans les foules. Le souvenir plus honteux encore du mari que mon père m’avait donné… Voilà ce que l’amour a été dans ma vie… Il y a des soirs où je rentre accablée par le dégoût, par l’ennui et par… je ne sais quoi qui me fait fondre en larmes… car enfin nous avons des sens, si nous ne sommes pas sur terre pour leur obéir. Toujours résister, c’est de quoi devenir folle !… Alors j’essaye d’échapper à cette obsession. Je veux n’y plus penser. Je me ressaisis. La vie est si vaste et l’âme si vaillante ! Je prie. Je me donne à ces charités qui me font plus de bien qu’aux pauvres. Je me passionne pour un livre, pour un tableau, pour un site, que sais-je ? pour ce qui peut me faire oublier l’homme et son baiser dont je ne veux pas… Eh bien, poursuivit-elle d’une voix qui