Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je ne puis vivre sans en être émue jusqu’au fond du cœur ; elle me bouleverse, elle me transporte ; mais cette aspiration s’adresse à tout ce qu’il y a d’inconnu au-dessus de nous, autour de nous, dans les parfums des bois, dans la lumière du ciel, dans le frisson divin qui m’envahit et que j’adore entre tous parce qu’il est mystérieux. Je ne sais ni d’où il me vient ni vers quel idéal sa force m’entraîne. Je ne le comprends pas. Je l’éprouve. Il m’est doux. Et quand je vous parle ainsi, vous traduisez : « Je vous aime ! »

— Vous avez dit : « J’aime ! » Ce n’est pas la même chose. Mais vous l’avez crié ! Qu’est-ce que l’Amour, grand Dieu ! si ce n’est pas ce que vous éprouvez ?

— L’Amour ! croyez-vous donc que je n’en sois point obsédée ! La vie de Paris permet-elle aux jeunes femmes de ne pas entendre au moins sa voix ? Je ne lui cède pas. Je ne lui cède jamais. En est-il moins hardi ?… Si vous pouviez sentir… C’est une persécution de tous les instants… Je dîne : la jambe d’un inconnu cherche la mienne, et s’en empare comme dans l’obscurité d’un lit. Je danse : c’est une main qui palpe mon corsage, une main faussement distraite ou étourdie, qui a l’air de n’y pas songer mais qui tourne, s’instruit, change de place, connaît ma hanche et touchera mon sein. Je m’assieds : un invité quelconque s’assied à mes côtés et me presse de toute sa per-