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l’autre qu’ils ne l’entendirent pas entrer. Mahmoud cria deux fois : « Djouhera !… Djouhera !… » puis, sans savoir ce qu’il faisait, il perça d’un seul geste le jeune homme sur la femme et la femme avec lui, et le plancher par-dessous.

L’homme mourut sur le coup. Djouhera poussa un cri faible, mais long comme un cri d’extase. Elle ouvrit tout à fait ses yeux d’agonisante, tourna la tête et murmura :

— Ô Mahmoud, c’est Dieu qui t’envoie… Je priais Dieu de me faire mourir au milieu de ma félicité. C’est lui qui vient d’armer ta main… Oh ! Dieu ! quelle belle nuit est ma dernière nuit… Toi, Mahmoud, tu mourras dans la souffrance, dans la vieillesse et la maladie… Et moi je m’en vais dans un évanouissement de bonheur… Sois béni, Mahmoud ; sois béni, Mahmoud ; sois béni…

Et plusieurs fois, elle répéta jusqu’à sa dernière haleine :

— Sois béni, Mahmoud ; sois béni, béni…

El Hadj Omar, ayant achevé son récit, tira une seconde fois du fourreau le coutelas où je crus voir, vaguement, des reflets rouges. Puis, nous reprîmes notre promenade le long de la vallée fleurie. À nos pieds, un marmot arabe agaçait dans le sable sec un petit scorpion noir, furibond et retrousse.


Biarritz, 1903.