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emplissant la première page noire, depuis l’amiral commandant jusqu’aux laveurs de sentines.

Nous partîmes le même jour, au milieu d’une fausse accalmie qui ne dura pas une demi-heure. Sitôt que le navire eut franchi la ligne vert sombre de la pleine mer, il bondit, plongea, rebondit plus haut, se coucha sur le flanc droit et frémit de toutes ses membrures comme un petit oiseau terrifié sous l’explosion de l’ouragan.

Une vague passa par-dessus le vaisseau et s’abattit sur lui de toute sa masse. Une autre en fit le tour. Une autre et cent autres. Toute la nuit, nous entendîmes l’effondrement des flots pesants sur le pont et ses planches plaintives. Quelquefois nous sautions sur le faîte d’une lame comme un œuf vide dans le panache d’un jet d’eau, et alors l’hélice émergée tourbillonnait en l’air avec un bruit strident qui sifflait la sirène au milieu de l’orage. Par moments, entre deux minutes assourdissantes, nous traversions de si profonds silences que nous pensions avoir déjà coulé. Heures incomparables de grandeur et de beauté tragique !

Le lendemain matin, quand je montai sur le pont, à la fin de la tempête, un grand Marocain brun, drapé d’un burnous blanc dont les plis s’enfuyaient au fil de la rafale, s’approcha du capitaine.

— Quand c’est n’s arrivons à Melilla ? dit-il.

— À Melilla ? fit le commandant. Pas de sitôt,