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moi et que je m’étais conduit en rustre avec cette vierge de légendes. Si je la revois jamais, me disais-je, si j’ai cette grâce du Ciel, je resterai à ses pieds, jusqu’à ce qu’elle me fasse signe, dussé-je attendre des années. Je ne la brusquerai point : je comprends ce qu’elle éprouve. Elle se sait d’une condition où l’on prend ses pareilles comme maîtresses au mois, et elle ne veut pas d’un traitement inférieur à son caractère. Elle veut m’éprouver, être sûre de moi, et si elle se donne, ne pas se prêter. Soit ; je serai selon son désir. Mais la reverrai-je ? Et aussitôt je me reprenais à ma détresse.


Je la revis.

Ce fut un soir, au printemps. J’avais passé quelques heures au théâtre del Duque, où le parfait Orejón jouait plusieurs rôles, et en sortant de là, par le silence de la nuit, je m’étais longtemps promené dans la Alameda spacieuse et déserte.

Je revenais seul, en fumant, par la calle Trajano, quand je m’entendis doucement appeler par mon nom, et un tremblement me saisit, car j’avais reconnu la voix.

« Don Mateo ! »

Je me retournai : il n’y avait personne. Pourtant, je ne rêvais pas encore…

— Concha ! criai-je. Concha ! où es-tu ?

Chito ! voulez-vous bien vous taire. Vous allez réveiller maman.