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« Achetez-moi des mandarines, me dit-elle. Je vous les offrirai là-haut. »

Nous montâmes. La maison était inquiétante. Une carte de femme sans profession était clouée à la première porte. Au-dessus, une fleuriste. À côté un appartement clos d’où s’échappait un bruit de rires. Je me demandais si cette petite fille ne me menait pas tout simplement au plus banal des rendez-vous. Mais, en somme, l’entourage ne prouvait rien, les cigarières indigentes ne choisissent pas leur domicile et je n’aime pas à juger les gens d’après la plaque de leur rue.

Au dernier étage, elle s’arrêta sur le palier bordé d’une balustrade de bois et donna trois petits coups de poing dans une porte brune qui s’ouvrit avec effort.

« Maman, laisse entrer, dit l’enfant. C’est un ami. »

La mère, une femme flétrie et noire, qui avait encore des souvenirs de beauté, me toisa sans grande confiance. Mais à la façon dont sa fille poussa la porte et m’invita sur ses pas, il m’apparut qu’une seule personne était maîtresse dans ce taudis et que la reine mère avait abdiqué la régence.

— Regarde, maman : douze mandarines ; et regarde encore : un napoléon.

— Jésus, dit la vieille en croisant les mains. Et comment as-tu gagné tout cela ?