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sans robes, le lit vide, le silence partout : si vous avez été amant, vous me comprenez, c’est horrible.

Pour échapper à l’angoisse de ce deuil pire que les deuils, je sortais du matin au soir, j’allais n’importe où, à cheval ou à pied, avec un fusil, une canne ou un livre ; il m’arriva même de coucher à l’auberge pour ne pas rentrer chez moi. Une après-midi, par désœuvrement, j’entrai à la Fábrica[1].


C’était une accablante journée d’été. J’avais déjeuné à l’hôtel de Paris, et pour aller de Las Sierpes à la rue San-Fernando, « à l’heure où il n’y a dans les rues que les chiens et les Français », j’avais cru mourir de soleil.

J’entrai, et j’entrai seul, ce qui est une faveur, car vous savez que les visiteurs sont conduits par une surveillante dans ce harem immense de quatre mille huit cents femmes, si libres de tenue et de propos.

Ce jour-là, qui était torride, je vous l’ai dit, elles ne mettaient aucune réserve à profiter de la tolérance qui leur permet de se déshabiller à leur guise dans l’insoutenable atmosphère où elles vivent de juin à septembre. C’est pure humanité qu’un tel règlement, car la température de ces

  1. La manufacture de tabacs de Séville.