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une petite tasse d’épais chocolat espagnol, il sortit au hasard.

Le hasard, qui fut singulier, lui fit suivre le plus court chemin, des marches de son hôtel à la plaza del Triunfo ; mais, arrivé là, André se souvint des précautions qu’on lui conseillait, et, soit qu’il craignît de mécontenter sa « maîtresse » en passant trop directement devant sa porte, soit au contraire qu’il ne voulût point paraître à ce point tourmenté du désir de la voir plus tôt, il suivit le trottoir opposé sans même tourner la tête à gauche.

De là, il se rendit à Las Delicias.

La bataille de la veille avait jonché la terre de papiers et de coquilles d’œufs qui donnaient au parc splendide une vague apparence d’arrière-cuisine. À de certains endroits, le sol avait disparu sous des dunes croulantes et bariolées. D’ailleurs, le lieu était désert, car le carême recommençait.

Pourtant, par une allée qui venait de la campagne, André vit venir à lui un passant qu’il reconnut.

— Bonjour, don Mateo, dit-il en lui tendant la main. Je n’espérais pas vous rencontrer sitôt.

— Que faire, Monsieur, quand on est seul, inutile, et désœuvré ? Je me promène le matin, je me promène le soir. Le jour, je lis ou je vais jouer. C’est l’existence que je me suis faite. Elle est sombre.