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La gitane est triomphante, mais elle a encore les larmes aux yeux, et elle dit en crispant les mains une phrase dont je ne comprends pas les mots, mais que le geste rend évidente :

« Je suis contente, mais j’aurai tant voulu, j’aurais tant voulu lui arracher les yeux ! »

Cependant, le train est toujours en panne, et je grelotte péniblement. Les vitres sont cassées à plusieurs carreaux ; un courant d’air glacial me pénètre ; mes pieds sont absolument gelés, mouillés, immobiles. Je pleurerais, moi aussi, de vraie douleur et d’impatience. Un vent terrible souffle au dehors ; il neige maintenant beaucoup. Pourquoi n’avance-t-on pas ? Voilà trois heures que le train est là. Il va être minuit. Avancera-t-on jamais ? Je vais avoir sûrement une fluxion de poitrine. En outre, je meurs de faim ; depuis trente-six heures je n’ai pris qu’un repas, et quel repas !

L’impatience, surtout, est insupportable. L’impossibilité de savoir quand le train marchera. Il n’y a pas de raison pour qu’on avance : s’il continue à neiger nous allons être bloqués là. La station la plus proche, Sainte-Marie-des-Neiges, est un hameau de quatre maisons. Nous sommes perdus en pleine montagne, loin de toute ville, absolument isolés, et dans cette tempête de neige, par ce froid pénétrant… J’avais assez peur ; plus, du moins, que dans aucune autre circonstance de ma