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Dès que je suis entré, elles deviennent furieuses l’une contre l’autre, et à mon sujet, sans que je puisse comprendre pourquoi. La gitane en veut surtout à l’une des petites qui paraît fort spirituelle, et comme elle la menace de ses ongles dans les yeux, la petite répond avec une peur feinte qui est à mourir de rire : « Cuidado ! » qu’elle prononce drôlement : « Couizâo ! ». Alors la gitane au comble de la rage se précipite sur elle et cherche à griffer le visage. On a mille peines à les séparer.

(Une autre réponse de la petite, avec la voix la plus tranquille : « Guardia ! qu’on me fournisse deux chulos ! » comme si elle était devant un taureau.)

H…, debout dans le fond, profère : « C’est vraiment très bien ! ».

La gitane, qui n’est pas calmée, se rejette sur l’autre petite, et autant que je puis deviner, elle se moque d’elle en l’appelant :

« Muchacha ! » (petit bout de femme). Mais l’autre se lève gravement, et montrant ses seins sous le châle :

« Yo soy mujer ! » et elle répète : « Soy mujer ! » Merveilleux.

Le train ne marche toujours pas. Le parquet est un lac de neige fondue ; des deux côtés de la voie, on ne distingue que de la neige, mais à droite un admirable précipice qui peut avoir cinq cents mètres de hauteur et se termine dans un