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recevoir comme un hôte clandestin, toute seule, à l’heure de minuit.

J’arrive : la grille[1] était fermée aux barres.

Je sonne : après quelques instants, Concha descend, et me sourit. Elle portait une jupe toute rose, un petit châle couleur de crème et deux grosses fleurs rouges aux cheveux. À la vive clarté de la nuit, je voyais chacun de ses traits.

Elle approcha de la grille, toujours souriante et sans hâte :

« Baisez mes mains », me dit-elle.

La grille demeurait fermée.

« À présent, baisez le bas de ma jupe, et le bout de mon pied sous la mule. »

Sa voix était comme radieuse.

Elle reprit :

« C’est bien. Maintenant, allez-vous-en. »

Une sueur d’effroi coula sur mes tempes. Il me semblait que je devinais tout ce qu’elle allait dire et faire.

— Conchita, ma fille… Tu ris… dis-moi que tu ris.

— Ah ! oui, je ris ! je vais te le dire, tiens ! s’il ne te faut que cela. Je ris ! je ris ! es-tu content ? Je ris de tout mon cœur, écoute, écoute comme je ris bien ! Ha ! ha ! je ris comme personne n’a ri

  1. Les maisons espagnoles sont fermées par une grille à travers laquelle on voit, au delà d’un large passage, le patio, cour intérieure d’une architecture très ornée, avec une fontaine et des plantes vertes.