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Elle avait repris sa voix railleuse et son sourire particulier ; mais je ne me sentais plus inquiet. Un proverbe espagnol nous dit : « La femme, comme la chatte, est à qui la soigne. » Je la soignais si bien, et j’étais si heureux qu’elle laissât faire !

J’étais arrivé à me convaincre que son chemin vers moi n’avait jamais dévié ; qu’elle m’avait réellement abordé la première et séduit peu à peu ; que ses deux fuites étaient justifiées non pas par les misérables calculs dont j’avais eu le soupçon, mais par ma faute, ma seule faute et l’oubli de mes engagements. Je l’excusais même de sa danse indécente, en songeant qu’elle avait alors désespéré de vivre jamais son rêve avec moi, et qu’une fille vierge, à Cadiz, ne peut guère gagner son pain sans prendre au moins les apparences d’une créature de plaisir.

Enfin, que vous dire ? je l’aimais.

Le jour même de notre retour, je choisis pour elle un palacio[1] dans la calle Lucena, devant la paroisse San-Isidorio. C’est un quartier silencieux, presque désert en été, mais frais et plein d’Ombre. Je la voyais heureuse dans cette rue mauve et jaune, non loin de la calle del Candilejo, où votre Carmen reçut don José.

Il fallut meubler cette maison. Je voulais faire vite, mais elle avait mille caprices. Huit jours interminables passèrent au milieu des tapissiers

  1. Hôtel privé.