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fis un petit voyage. Je me retirai au pied des Alpes, dans un lieu charmant nommé Orobia, qui est sur les bords du petit lac Clisius. C’était un simple village, où il n’y avait pas trois cents femmes et l’une d’elles s’était faite courtisane afin de protéger la vertu des autres. On connaissait sa maison à un bouquet de fleurs suspendu sur la porte, mais elle-même ne se distinguait pas de ses sœurs ou de ses cousines. Elle ignorait qu’il y eût des fards, des parfums et des cosmétiques, et des voiles transparents et des fers à friser. Elle ne savait pas soigner sa beauté, en s’épilant avec de la résine poissée, comme on arrache les mauvaises herbes dans une cour de marbre blanc. On frémit de penser qu’elle marchait sans bottines, de sorte qu’on ne pouvait baiser ses pieds nus comme on fait de ceux de Faustine, plus doux que des mains. Et pourtant je lui trouvais tant de charmes, que près de son corps brun j’oubliai tout un mois Rome, et l’heureuse Tyr, et Alexandrie. »

Naucratès approuva d’un signe de tête et dit après avoir bu :

« Le grand événement de l’amour est l’instant où la nudité se révèle. Les courtisanes devraient le savoir et nous ménager les surprises. Or il semble au contraire qu’elles mettent tous leurs efforts à nous désillusionner. Y a-t-il rien de plus pénible qu’une chevelure flottante où l’on voit