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Eh bien, vois comme tu t’es trompée. Si je t’aimais ici, dans ce bois, je te laisserais aussitôt après, ainsi que j’ai laissé ta sœur ce matin. Dans l’état où tu es il vaut mieux n’en rien faire et nous quitter simplement. Tu avais fait un choix déplorable. Essaye de l’oublier, et va-t’en tout de suite sans tourner la tête. Dans la Maison sur le Nil, tu retrouveras ton père affligé, le foyer de ta famille et les images des Dieux. Tu reverras ta sœur aînée et elle t’apprendra la Vertu véritable, dont tu ne connais que les apparences. »

Il l’embrassa sur la joue et reprit sa route entre les arbres. Mais il n’avait pas encore disparu au delà des grands buissons de fleurs jaunes quand il entendit pour la troisième fois courir et pleurer derrière lui.

Alors il s’emporta tout à fait :

— Je te défends de me suivre !

— Je ne peux pas te quitter. Ne me chasse pas. Je ne demande plus à être femme puisque tu refuses de m’aimer. Je supplie, pour rester près de toi. Je t’appartiens. Fais de moi quelque chose. Je serai ton esclave si tu veux. »

Biôn dénoua froidement sa ceinture, la serra comme un pagne autour des reins de l’enfant, accrocha sur l’épaule nue la courroie du sac gonflé avec la gourde et le pétase et, d’une voix indifférente :

« Va devant », dit-il.