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second, et dans son cœur c’est lui qu’elle aime. Tu verras cela un peu plus tard.

« Il n’y a aucune raison pour aimer toujours le même homme. Te condamnerais-tu à dormir toute la vie sous le même toit ? à porter toujours la même robe ? à manger toujours du même fruit ? L’amour n’est pas un sentiment qui soit très différent des autres, mais de tous c’est le plus abondant : c’est pour cela qu’il faut le partager.

« Les dieux ont semé sur ta bouche un amour assez généreux pour satisfaire toute une armée. Tu n’as pas le droit de priver les autres du plaisir qu’ils espèrent de toi. Quand ta sœur sera mariée, tu resteras seule chez ton père : alors des voyageurs passeront encore, qui depuis longtemps auront quitté leur foyer et le lit sacré de leurs noces. Fatigués du soleil et de la longueur de la route, ils se délasseront par tes soins. Tu peux enchanter leur ennui et laisser dans leur existence le souvenir d’un jour heureux.

« Ainsi, par la suite des jours, la diversité des tendresses, la promptitude des adieux, tu comprendras peu à peu qu’il ne faut pas s’attacher par l’amour, et tu choisiras plus sagement l’homme à qui tu donneras ta vie.

— Pourrai-je jamais mieux choisir ? N’es-tu pas…

— Oh ! je sais. Je suis sans doute le meilleur, le seul, et tu es bien certaine d’avoir trouvé ton rêve. N’est-ce pas ? c’est cela que tu allais dire.