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— Habiteras-tu aussi le pays que tu me promets enfin ?

— Je suis le Dominateur des Ombres, le Maître de l’Eau Infernale. Je siège sur un trône de ténèbres ; mon doigt levé attire à lui les âmes, et du plus lointain du monde, elles viennent tournoyer, faiblir, battre de l’aile sous mon regard. Je porte une couronne de pampre, car ainsi que le raisin coupé revit sous les pieds dans le pressoir et ruisselle en vin écarlate, ainsi l’angoisse de la mort se transfigure à miracle dans l’ivresse de la résurrection. Et je tiens à la main un épi de blé mûr, car de même que le grain pourri renaît dans la terre nourricière et pousse en herbe vivace, de même la douleur et l’inquiétude germent, fleurissent, s’extasient, dans la grande paix éternelle, où tu vas.

— Y serai-je loin de toi, pauvre âme isolée dans la multitude ?

— Non : tu régneras, toi aussi, à mes côtés, ô Reine aux belles tresses ! et tu reflèteras sur ta face le calme ineffable des prairies souterraines. C’est toi que les âmes mortes verront la première, et tu auras cette joie qui est refusée aux Dieux mêmes, de contempler la naissance de la béatitude dans les yeux calmes pour toujours des incorruptibles Esprits.

— Ô Dionysos… »

Et elle leva les bras vers lui.