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du fleuve. Elle sentait entre ses genoux froids la chaleur du corps de l’oiseau. Tout à coup, elle cria : Ah !… Ah !… et ses bras tremblèrent comme des branches pâles. Le bec l’avait affreusement pénétrée et la tête du Cygne se mouvait en elle avec rage, comme s’il mangeait ses entrailles, délicieusement.

Alors ce fut un long sanglot de félicité abondante. Elle laissa tomber en arrière sa tête fiévreuse aux yeux fermés, arracha de l’herbe avec ses doigts et crispa sur le vide ses petits pieds convulsifs, qui s’épanouirent dans le silence.

Longtemps elle resta immobile. Au premier geste qu’elle fit, sa main rencontra au-dessus d’elle le bec ensanglanté du Cygne.

Elle s’assit et vit le grand oiseau blanc devant le frisson clair du fleuve.

Elle voulut se lever : l’oiseau l’en empêcha.

Elle voulut prendre un peu d’eau dans le creux de sa main et fraîchir sa douleur joyeuse : l’oiseau l’arrêta de son aile.

Elle le mit alors dans ses bras et couvrit de baisers les plumes touffues, qui se hérissaient sous sa bouche. Puis elle s’étendit sur la rive et, dormit profondément.

Le lendemain matin, comme le jour commençait, une sensation nouvelle l’éveilla brusquement, et il lui sembla que quelque chose se détachait de son corps. Et c’était un grand œuf bleu qui avait