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les lèvres comme avant les premières paroles, et les cheveux assouplis sur les tempes gardent encore un peu le mouvement des doigts qui les ont coiffés. Car l’action subsiste, même arrêtée, et c’est là ce qui fait la Grâce ; la Grâce est le charme immobile d’un geste qu’on n’achève pas.


Si les hommes aiment tant la Grâce, c’est que la Grâce leur fait comprendre la Beauté. C’est un charme qu’ils peuvent sentir tout entier, un enchantement qui les envahit sans les dépasser, une douceur qui n’a pas de lendemains amers et qui ne s’arrête pas dans une angoisse devant l’inconnu. Même quand la grâce est idéale, ce n’est jamais qu’une réalité plus pure ; jamais elle n’évoque hors d’elle-même un monde où le corps n’ait aucune place, où l’esprit seul se meuve et vive.


Non la Grâce n’est pas la Beauté ni l’ornement de la Beauté ; elle est en dehors de l’art, elle est exclue de toute perfection. Aucune des hautes qualités qui font l’œuvre belle ne l’agrée, nul idéal n’est complet s’il est gâté par son charme détestable, qui s’étend sur la Beauté comme une manière de sacrilège, et la profane en la livrant aux foules. Le Joli, ce qu’il y a de plus haïssable en art, est né d’elle, et ne vit que par elle. Tous les mauvais artistes s’inspirent de ses défauts ; tous