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s’adressent précisément au spectateur dont l’âme est la plus naïve et la plus malléable. C’est ainsi que la Censure comprenait sa mission morale et politique.

Prenez dans votre bibliothèque une des pièces imprimées depuis vingt ans « avec les passages supprimés » et comparez ce qu’on interdit aux bons auteurs avec ce qu’on permet aux pires. Lisez ces phrases entre guillemets, jugées dangereuses pour la morale publique et rappelez dans votre souvenir les scatologies que vous avez entendu chanter ailleurs, dûment visées par la Censure et protégées par la police. On corrige les meilleurs ; mais qu’un chansonnier présente un jeu de mots platement obscène, sans goût, sans esprit, et surtout sans littérature, la bienveillance du censeur lui est assurée. On protège les étrangers contre les pièces à thèse qui attaqueraient leurs pays, mais une basse injure à l’adresse d’une nation amie passe comme un simple sourire sous les yeux du correcteur.

Il y a deux ans, j’entrais par hasard dans un établissement des Champs-Élysées. Les journaux du soir annonçaient l’interdiction d’une pièce qui aurait pu éveiller les susceptibilités d’un pays voisin. Je levai les yeux vers la scène, elle était couverte de drapeaux et d’uniformes étrangers. On jouait une revue militaire bafouant une série d’alliances que la presse nous avait