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d’une tempête, et nulle part ailleurs le calme et les prés, nulle part la solitude n’ont, par opposition, cette suprême valeur. Ceci demeurera pur tant que la rue des Saules restera intacte. Le jour où elle sera envahie par les maisons de rapport, ce jour-là Montmartre disparaîtra, quels que soient d’ailleurs ses monuments publics si chers aux Baedekers et à leurs lecteurs.


Or, entre toutes les villes qui obtinrent sur le globe ce don exceptionnel, la personnalité, Venise est peut-être la plus douée, la plus singulière. Elle est extra-terrestre. Elle est la seule incomparable. On l’a dite à la fois la Cité des Eaux, la Cité du Silence, la Cité du Rouge. Rien de ce qui lui appartient ne pourrait être ailleurs la richesse d’une autre. Elle possède, inutilement, l’une des merveilles de l’art humain : l’intérieur de Saint-Marc ; et elle est elle-même tellement merveilleuse que Saint-Marc se fond dans son glorieux ensemble au point qu’on arrive à douter s’il orne sa beauté ou s’il lui doit la sienne. Venise plane comme le grand oiseau dessiné par le poète, entre deux océans. La gamme de couleurs où elle est baignée est d’une somptuosité que l’on ne peut décrire. Depuis le rouge et l’or jusqu’au violet céleste, toutes les teintes frappent ses murailles avec une largeur et une pureté splendides. C’était la seule excuse du Campanile tombé, de recueillir