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rieur semé de cafés-chantants. Mais ne comptez pas qu’ils vous dévoilent ce qui est l’âme de Montmartre ; ils ne vous diront point qu’au sommet de la Butte, à l’écart de tout ce qu’ils vous montrent, il y a un très petit village, dessiné par trois rues : la rue de l’Abreuvoir, la rue des Saules, la rue Girardon. Là haut, c’est la pleine campagne : jardins, murs décrépits, sentiers, silences, cris d’oiseaux. Ni trottoirs, ni pavés. Jamais une voiture. À peine un passant. Quelquefois, un chat qui saute par-dessus l’herbe. Et si l’on s’avance jusqu’à la limite de ce hameau perdu sur sa colline déserte, on découvre, à ses pieds, un nuage de brume grise ou bleue, un océan de villes entr’aperçues qui, depuis les villas de Colombes jusqu’à la hauteur de Nogent-sur-Marne, nourrissent et emprisonnent quatre millions d’hommes.

Ceci est unique au monde.

Maintenant, vous pouvez construire là, ou démolir pierre à pierre tous les édifices qu’il vous plaira, remplacer la vieille église par le Sacré-Cœur, le Sacré-Cœur par une Madeleine ou une Tour Eiffel, cela est indifférent aux artistes. Montmartre est un hameau vert, assiégé par quarante centaines de mille êtres humains. Il est à lui seul toute la paix des champs, dominant la bataille des villes. Nul autre patelin n’est situé de la sorte, comme une île des airs, au-dessus