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plus connu que des curieux. La langue a peu changé depuis Mathurin Régnier ; mais la masse du public ne sait plus traduire « I’ay ueu » en « J’ai vu ». Une réforme de l’orthographe a creusé ce fossé entre nos pères et nous.

Pourtant, auprès de la réforme artificielle et totale que médite M. Paul Meyer, les lentes transformations naturelles qui ont évolué depuis trois siècles « ne sont que jeux de petits enfants ». Si d’un trait de plume nous changeons, comme on le propose, l’s en z, le g en j, le ph en f, le ch en k, l’x en s, etc. ; — si, sous prétexte de simplicité, nous supprimons la moitié des lettres qui forment les mots les plus anciens et les plus usuels de la langue, nous obtiendrons une langue nouvelle en apparence, une sorte d’idiome factice, moins logique et plus difficile que l’espéranto. Il faudra choisir entre le français nouveau et le français d’aujourd’hui. Le peuple n’aura pas le temps d’apprendre à lire les deux. Les étrangers encore bien moins.

Dès lors, les générations de 1925, les hommes qui auront appris à écrire exclusivement avec la nouvelle orthographe pourront choisir deux solutions : — ou bien ils apprendront tout à la fois l’orthographe de M. Meyer et la nôtre ; — dans ce cas, je ne vois pas comment la réforme projetée simplifierait les études ; — ou bien ils se trouveront aussi dépaysés, aussi complètement impuissants