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Écrire keur pour chœur, faze pour phase, jème pour gemme, èle an ut pour elle en eut et ainsi de suite pour 20.000 mots du dictionnaire, ce n’est pas réformer, c’est créer de toutes pièces une orthographe aussi barbare que celle de la Chanson de Roland, et destinée à être, comme elle, lettre morte pour les soixante millions d’hommes qui ont appris notre langue moderne en France ou à l’étranger. — Or, c’est ici que je voudrais appeler l’attention du lecteur : il n’y a pas de réforme plus facile à réaliser que la réforme de l’orthographe ; c’est la plus agréable à un ministre parce que c’est la seule qui ne risque pas de soulever un incident à la commission du budget ; et néanmoins il n’y en a guère qui puissent avoir de plus désastreuses conséquences pour notre mouvement intellectuel, et pour notre influence extérieure. La raison en est simple.



À qui n’est-il pas arrivé de prendre dans sa bibliothèque un Montaigne ou un Amyot, d’en montrer une page à un ami (ingénieur, architecte, officier… qui sait littérateur peut-être) et de voir aussitôt un mouvement de recul, une main qui se lève, un visage qui s’écarte : « Non. C’est de l’ancienne orthographe. Je n’y comprends rien. » Dès aujourd’hui, le seizième siècle n’est