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un colosse. Je reprends Alceste et je vous reprends son adversaire fatal, Tartuffe, parce que cet homme appartient à Polyeucte, et que l’âme de Polyeucte ne vous parle pas.

Les poètes, cornéliens par la race, et tous les cornéliens, tous, tous, comprennent que Tartuffe et Polyeucte sont les deux pôles du même cerveau et que, seul, le martyr dévisage le fourbe.

Ils comprennent que Rodrigue, Alceste et Pauline ont à la bouche les mêmes mots de souffrance :


Percé jusques au fond du cœur…
                            … Après un tel outrage
Percé du coup mortel dont vous m’assassinez…
Tigre, assassine-moi du moins sans m’outrager.

Voilà trois rôles. Lequel des trois Molière peut-il signer ? Est-ce donc une merveille si rare en philologie que de connaître le vocabulaire de Pierre Corneille avec autant de facilité que celui de Lucrèce ou d’Homère ?

Gœthe a failli nommer Alceste et le Malade et le fils de l’Avare. Il y voyait des personnages tragiques. Il ne voyait que tragédies dans Molière. Si Eckermann lui avait fait lire tout Corneille, il aurait dit le mot : Tragi-comédies. De là, par Calixte et par Mélibée, par toutes les sources que vous me laisserez le temps de vous dire un autre jour, on arrive cent fois au même nom. Et ce n’est pas le nom de Molière.