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Restif n’avait aucune liberté d’imagination. Il ne pouvait conter que les métamorphoses du vrai. S’il ne peignait pas la réalité, il la déformait à dessein ; mais inventer un personnage et lui prêter des aventures était un travail cérébral trop complexe pour ses facultés. Lorsqu’il s’y essayait, ses récits perdaient toute vraisemblance et presque toute raison.

Il le savait, car il jugeait assez bien la valeur relative de ses divers ouvrages. Aussi n’hésitait-il pas à répéter le même récit sous plusieurs aspects différents comme un peintre fait des répliques du même tableau en changeant les accessoires. Il y a telle anecdote (sur sa fille Agnès) dont nous possédons cinq narrations distinctes depuis Ingénue Saxancour jusqu’à l’Anti-Justine, en passant par l’Année des Dames.

Lorsqu’il eut ainsi publié son histoire sous une forme romanesque dans le Paysan perverti, la Femme infidelle, etc., il entreprit de la recommencer tout entière en seize volumes sous forme de confession véritable (Monsieur Nicolas). Ce n’était pas assez. Il reprit une fois de plus toute sa biographie depuis sa première enfance, sous une forme théâtrale et ce fut le Drame de la Vie.

Mais ensuite ? Il avait écrit tour à tour le roman de sa vie, l’histoire de sa vie, le drame de sa vie. Comment renouvellerait-il l’éternel sujet de son labeur ?