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moi aussi, sur ces pierres du Golgotha et m’y abîmer dans une adoration !… Mais il est trop différent du Christ de mon enfance, ce Christ des icones dorées qu’ils implorent ici, et ces manifestations extérieures, ces élans qui font tomber à genoux, ne sont plus possibles aux hommes de mon temps ; même dans cette chapelle du Calvaire qui, depuis tant de siècles, connaît les sanglots, un sentiment, d’une toute moderne essence, me raidit à ma place et m’immobilise…

Quelque chose cependant commence à troubler mes yeux !… C’était inattendu et c’est sans résistance possible : dans ce retrait du pilier qui me cache, voici que je pleure, moi aussi ; que je pleure enfin toutes les larmes amoncelées et refoulées pendant mes longues angoisses antérieures, au cours de tant de changeantes et vides comédies dont mon existence a été tramée. On prie comme on peut, et moi je ne peux pas mieux. Bien que debout là dans l’ombre, je suis maintenant, de toute mon âme, prosterné, autant que le vieillard en extase à mes côtés, autant que le soldat qui tout à l’heure rampait pour embrasser les pierres. Le Christ ! oh ! oui, quoi que les hommes fassent et disent, il demeure bien l’inexplicable et l’unique ! Dès que sa croix paraît, dès que son nom est prononcé, tout